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Bibliothèque-Musée de l'Opéra de Paris
Réservations sur le site de l'opéra
de 10h à 17h
Peintre, décorateur et théoricien, Léon Bakst (1866-1924) a été l’un des chefs de file de l’avant-garde des artistes russes réunie au sein du groupe « Le Monde de l’art ». Principal collaborateur des Ballets russes lors de leurs premières saisons, il dessine les décors et les costumes de plusieurs chefs-d'œuvre : Shéhérazade, Le Spectre de la rose, L’Après-midi d’un faune, Daphnis et Chloé… Son œuvre révolutionne non seulement la décoration théâtrale, mais aussi la mode et les arts décoratifs.
A l’occasion du cent-cinquantième anniversaire de la naissance de l’artiste, l’Opéra national de Paris et la Bibliothèque nationale de France organisent une exposition rétrospective qui présente au travers de 130 œuvres environ le portrait d’un artiste total qui pensait son art comme une action. Elle permet de suivre l’itinéraire d'un artiste russe devenu une figure du Tout-Paris, d'un peintre qui a formé Chagall et qui a été l'ami de Picasso ; un artiste qui a surtout contribué à créer l’esprit et la sensibilité de l’avant-guerre de 1914 grâce à des créations fiévreuses dominées par l'érotisme des corps, des créations conçues en dialogue avec celles de Claude Debussy, Maurice Ravel, Igor Stravinsky, Gabriele D'Annunzio, Vaslav Nijinski ou Ida Rubinstein ; des créations enfin qui ont reçu les éloges appuyés de Marcel Proust ou Jean Cocteau et qui continuent d'inspirer jusqu'à nos jours, d’Yves Saint Laurent à Karl Lagerfeld.
Je tourne le dos à l’hôtel et en reste baba : un précipice gigantesque, sans fond dans la nuit, tout près de mes pieds… quelque part, tout en bas dans la vallée, sous les éclairs aveuglants bleu-mauve, reposent les temples blancs de marbre - maisonnettes de conte tombées en poussière entre les mains monstrueuses des Cyclopes… Est-ce par colère qu’ils les jetèrent des montagnes verticales et lugubres qui entourent, de leur chœur malveillant, le hardi sanctuaire blanc ?
En fendant impérieusement les ténèbres, les volées d’aigles géants planent, inquiets, en traçant des courbes impétueuses dans toutes les directions ; dans l’air épais, étouffant, plein de phosphore et d’électricité, on entend de trop près, juste sous nos pieds, le bruissement affreux de leurs ailes robustes…
Je m’éloigne involontairement du précipice… L’ombre de Ganymède glisse craintivement dans ma pensée… Le fracas assourdissant et le scintillement sont si forts, qu’il semble que l’éclair nous transperce tout entier - nous tenons à peine debout. Instinctivement nous nous tournons du côté de la trattoria et son air simple d’opéra atténue l’acuité de nos sentiments…
Serov affirme qu’il a faim ; je sens une sorte de reconnaissance pour ce revirement vers le banal besoin quotidien ; dans la salle qui comporte une table proprement dressée, parmi les bouteilles noires, mon œil ascétique remarque avec satisfaction des œufs durs posés sur un monticule de sel gris, plusieurs fromages frais et une assiette d’amandes et de raisins secs.
Quel plaisir de dîner sous le bas plafond blanc, de s’essuyer avec des serviettes propres brodées aux tons vifs, de siroter, avec du vin âpre, une somnolente conversation culinaire à propos des repas montagnards, du fromage de chèvre, bien meilleur que le fromage hollandais que l’on servait avec du pumpernickel sec chez Leiner à Pétersbourg . Ô, ce restaurant de Leiner !
Sentimental, je me répands au sujet de la vieille et respectable madame Leiner, grosse veuve violette d’apoplexie, au sujet de ses dîners classiques pour un rouble d’argent - restaurant dans lequel nous étions d’honorables habitués de longue date.
– Certes, honorables ! Tu te souviens quand elle nous a offert à chacun un authentique petit verre d’argent en signe de notre fidélité décennale ? Tu te souviens ? Tu te souviens quelle bière munichoise étonnante on y servait ? Noire, épaisse… et les Allemands de chez Leiner - quel drôle de peuple !
– « Kannst-du noch , Androuchcha ?
– Absoluuuuument ! »
Serov rit avec bonhomie, allume pensivement son cigare. De Delphes, de l’orage - on ne dit pas mot.
Mais avant de me coucher, tel le duc de la cavatine de Rigoletto, dans ma chambre minuscule et étouffante, j’ouvre largement la fenêtre qui, elle, n’est pas de théâtre.
L’orage grandit et se renforce. Par moment le vent romantique se calme et le silence lourd, précurseur d’un épique fracas assourdissant, devient insupportable, comme le spasme d’un enfant qui, juste après une chute, se tait pendant trois horribles secondes et tout à coup déchire l’air de son cri frénétique et, néanmoins, quelque peu apaisant.
De larges éclairs coupent sans cesse l’œil avec leur rasoir géant ; le précipice sans fond sous la fenêtre paraît alors encore plus velouté et sauvage.
Il y a un cauchemar atroce, véritable torture dans lequel tu n’arrêtes pas de tomber d’une hauteur effroyable dans une profondeur noire et inconnue, et ton corps est titillé jusqu’à la nausée par le sentiment de l’absence de sol sous tes pieds… Ce que je ressentais en me forçant à tenir bon contre l’orage devant la fenêtre ouverte était proche de ce cauchemar : ce chatouillement, le frère de la mort, s’approchait de moi…
Quel étrange, quel terrible décor !... Tout autour, sur les rochers, comme dans un colisée des Cyclopes, comme dans une volière magique faite pour des aigles géants, bâillent des trous profonds et noirs, des niches - sépultures abandonnées des pèlerins de l’Hellade et de l’Étrurie, des tombeaux des philosophes, des pontifes ayant vécu, étudié, professé près du sanctuaire glorieux.
Depuis longtemps se putréfièrent les ossements des stoïciens et des sophistes, bâtisseurs de systèmes ingénieux, chercheurs du sens de l’existence… Mais toujours, comme il y a trois mille ans, au printemps, Zeus tonne au milieu de la volée d’aigles effrayés par les éclairs et, chaque printemps, dans les ténèbres de l’Hadès, Perséphone pétrifiée de douleur - torve, terrible, assise dans son profond fauteuil de basalte - attend chez elle avec méchanceté, de la terre interdite et florissante, les enfants du soleil crédules et fragiles : les hommes…
Peintre russe, il devient en 1898 l’un des fondateurs avec Diaghilev du mouvement Le Monde de l’Art.
Il expose à Paris, à la Galerie nationale, et est chargé de l'aménagement décoratif de l'exposition russe au Salon d'automne en 1908.
Il devient, dès leur naissance, le collaborateur privilégié des Ballets russes, pour lesquels il réalise costumes et décors jusqu’en 1921.
Olga Medvedkova est historienne de l’art et écrivain. Née à Moscou, elle vit en France depuis 1991 et choisit d'écrire en français. Directrice de recherche au CNRS, elle est auteur de nombreux ouvrages d’histoire de l’art et de l’architecture, d'essais, de nouvelles, de contes et de deux romans : L’Education soviétique (le prix Révélation 2014 de la SDGL) et Les Anges stagiaires.
En 2017 elle a reçu le prix Lequeux de l’Institut de France pour l’ensemble de son œuvre.
Son site : olgamedvedkova.blog4ever.net
Écoutez l'interview de Olga Medvedkova sur francefineart.com.